Sunday, December 16, 2012

Aux origines théoriques


AUX ORIGINES THÉORIQUES


Pour expliciter et justifier notre interprétation de l'insurrectionnalisme, nous allons remonter à ses prémisses dans les années 1970 à partir d'une rapide analyse des positions et des actions du groupe des Fossoyeurs du vieux monde (FVM), et de Os Cangaceiros qui lui succède. Puis, nous examinerons en détail l'apport de Tiqqun avant d'analyser ses derniers développements ou avatars, aussi bien théoriques que pratiques. Cette remontée aux prémisses n'est pas à confondre avec un retour aux sources. Il ne nous importe pas tant de faire le tour des références revendiquées de ce courant (qui a d'ailleurs plutôt l'habitude de les cacher) que de mettre à jour des fils théoriques parfois disparates, mais dotés d'effets de corpus. Les nombreuses métaphores insurrectionnalistes en témoignent.

Les Fossoyeurs du Vieux monde


(par la suite FVM) est le nom d'un groupe-revue qui s'est constitué à partir de rencontres initiées au début des années 1970 à Nice. Elles sont suivies, à partir de 1976, par d'intenses échanges qui débordent de la localité niçoise et posent les bases de la future association. Le groupe aboutit à une critique sans complaisance de l'activisme gauchiste et du quotidiennisme comme idéologie de la privatisation de l'activité subversive (cf. p. 19 et 23 du numéro 2), mais au profit d'un centrage sur le « révolutionnaire » et un « savoir être révolutionnaire » qui recopie et reproduit les impasses du situationnisme.
À leurs débuts, les Fossoyeurs prennent pour devise le slogan de mai 68 « Ne travaillez jamais », à une époque où le plein emploi semble triompher. Le travail salarié se généralise et concerne 90 % de la population active. S'il prend déjà des formes très diversifiées (multiplication des petits boulots, développement du travail intérimaire), il n'est encore fait nulle part allusion à un quelconque processus de précarisation. Quand des opérations sont menées contre des agences intérimaires (bombages, cocktails Molotov) dès l'après-68, ce qui est attaqué c'est une forme particulière de l'exploitation patronale, mais elle n'est pas assimilée à un changement de la structure du marché du travail ou à une contre-offensive du patronat. On y entrevoit aussi une forme de « flexibilité prolétaire » qui perpétue sous d'autres formes le mouvement de refus du travail des années précédentes (absentéisme, grèves sauvages, turn over) ou celui de « l'autonomie ouvrière ».

À partir de là, les membres du groupe vont développer une réflexion originale, même si elle se situe dans la continuité de celle de l'internationale situationniste (is). En effet, elle est centrée sur la critique de la marchandise et de l'aliénation qu'elle engendre à travers une mise en spectacle produisant sans cesse de l'insatisfaction et des frustrations. Pour les FVM, c'est l'insatisfaction en relation à la marchandise qui caractérise le prolétaire, figure moderne du pauvre plus que du travailleur dont l'insatisfaction provenait de la division du travail et de « l'aliénation » par rapport à son produit. Dans ces conditions, le prolétaire moderne est toujours dans le négatif alors que, sous la figure de l'ouvrier, il n'était qu'un négatif potentiel, un négatif à mettre en oeuvre pour renverser ou dépasser un rapport positif au travail et au capital technique (capital fixe, accumulation) dont la croissance est jugée globalement « progressiste » et source d'une réappropriation possible dans le socialisme ou plus concrètement dans l'autogestion.

Aujourd'hui, le prolétaire moderne serait donc inaccompli dans une société qui jamais ne le laissera être dans un autre état qu'insatisfait. Dans cette mécanique du manque, une lecture immédiate pourrait nous porter à croire que c'est le manque d'argent qui le symbolise le mieux, mais ce serait une erreur. Comme le fait remarquer un passage du numéro 21, ce n'est pas l'argent qui manque, mais la richesse. Richesse et pauvreté doivent donc être débarrassées de leur contenu quantitatif et monétaire pour prendre une dimension plus symbolique et politique. Face à la marchandise, les prolétaires se retrouvent aussi séparés et en concurrence que face au travail. Il y a donc un enjeu à vivre collectivement sans travailler quand se fait jour l'existence aliénée de la seule communauté qui reste, à savoir la communauté du manque. En conséquence, les FVM se trouvent des affinités avec tous ceux qui manifestent leur insatisfaction à l'égard d'un monde qui se dérobe à eux sans cesse. Leur approche permet de faire « passer l'agressivité des blousons noirs sur le plan des idées », l'agressivité étant « le pôle négatif de l’aliénation », c'est-à-dire l'action du manque. C'est en cela qu'ils se reconnaissent dans les actions d'émeutes, de rodéos, de pillages qu'eux-mêmes pratiquent ou encouragent.

Le travail est, dans cette perspective, un vol de temps, temps qui est la forme réelle de l'expérience du travail pour le prolétaire et non ce qu'il peut produire. Mais, en réalité, pour les FVM, c'est le travail vivant qui est mis à la porte. Le seul travail significatif pour le capital est désormais le travail mort et c'est pourquoi être contre le travail, alors que le travail comme activité singulière n'existe plus, est parfaitement logique. Par l'action même du capital serait en marche la décomposition du prolétariat comme classe du travail. La lutte du travail contre le capital est donc historiquement épuisée et le mouvement ouvrier est mort définitivement (p. 38 du numéro 2). En conséquence le travail ne subsiste que pour accomplir l'abstraction spectaculaire générale.

Cette approche s'est faite contre les interprétations de « l'autonomie ouvrière » et une perspective classiste d'auto-valorisation prolétaire fondée sur une analyse des transformations du procès de production appuyée sur une lecture des Fondements de la critique de l'économie politique de Marx (Grundrisse) qui, pourtant, posent les bases de la caducité du temps de travail comme mesure de la valeur. Le creuset théorique de référence reste « situationniste » dans la mesure où il est centré sur la critique du travail, même s'il s'ouvre à une postérité un peu différente avec les notions de « publicité » et de « bavardage » chères à J. P Voyer2.

À partir de cette base théorique, de nombreuses actions vont être menées par les Fossoyeurs jusqu'en 1984, par exemple des interventions sur des quartiers comme celui des Dervallières à Nantes et Bagatelle à Toulouse en 1978 ou la participation aux émeutes de Caen la même année. Mais petit à petit, l'activité de réflexion perd de son importance dans la revue pour laisser la place à des retours sur des expériences diverses, des grèves aux émeutes des prolétaires du Royaume-Uni ou de France3.

Os Cangaceiros4


est la revue d'un groupe qui se forme en 1985, prenant la suite des FVM dont certains de ses membres sont issus5 et il perdurera jusqu'en 1991. Elle se définit comme suit, dans son numéro 2 de novembre 1985 : « “Os Cangaceiros” veut dire “Tout est possible”, “Nous sommes en guerre”, “Rien n'est vrai, tout est permis” ».

Le premier axe d'intervention, en 1985, se situe dans un soutien, de l'extérieur, aux prisonniers et aux révoltes des prisons. Il s'agit d'exprimer une solidarité active par des actes de sabotage ciblés plus que par des tracts et comités de soutien habituels6. À partir de 1989-90, les actions entreprises dans cette direction n'étaient plus en correspondance avec une révolte précise, mais avec le refus de la construction de nouvelles prisons7. Mais cette offensive sur le front des prisons ne constitue pas la seule activité du groupe.
Comme la revue Os Cangaceiros l'analyse à sa manière, l'époque est secouée par de violentes convulsions en réaction à la liquidation de certaines formes de travail obsolètes dans le cadre de la restructuration du capital qui fait suite au cycle de luttes des années 1960-1970 et à la crise de productivité qui l'accompagne.
Les Cangaceiros cherchent donc à dégager de nouvelles formes de conflictualité, telles celles que présentent à leurs yeux diverses manifestations de révolte passant outre les syndicats, par exemple lors de la grève du secteur naval à Bilbao et surtout à Gijón8. Ce qui est crucial, donc, c'est la portée d'un mouvement de prolétaires qui privilégie la démocratie directe par la pratique des assemblées, des affrontements avec la direction et la police et des actions de sabotage. Cette tendance « assembléiste » va être portée aux nues par la revue qui s'illusionne sur la portée de cette forme qu'elle trouve plus démocratique et basiste que la forme conseil9. Pourtant, en l'occurrence ici, cela ne change rien au contenu de la lutte qui reste très lié à un statut spécifique, à savoir celui des ouvriers des chantiers navals ou des travailleurs portuaires, et à un travail, surtout dans l'Espagne « retardataire », où prédominent encore des formes de travail quasi artisanales. À la même époque, la Coordinadora des collectifs de dockers des ports espagnols, née à Barcelone avec son journal La Estiba, cherche à rassembler les dockers sur des bases de démocratie directe, mais les contenus ne dépassent pas la défense du statut et une autogestion des formes de travail en équipes. Une critique du travail s'ébauche, mais elle est contradictoire avec une affirmation d'un travail salarié spécifique qui est la base de l'unité de ces travailleurs. Cette ambiguïté est renforcée par l'existence, alors, d'une base arrière qui n'existe plus aujourd'hui et que constituaient des quartiers portuaires, tels que celui de la Barceloneta. Cette question des bases arrière est d'ailleurs extrêmement importante pour qui s'attache au devenir de certaines formes d'action ou de luttes10.
L'absence actuelle de ces bases arrière dans les pays centres du capital conduit aujourd'hui certains courants, allant de l'alternativisme à l'insurrectionnalisme, à vouloir créer de toutes pièces des « bases avant » faute de ces « bases arrière », mais sans le vivier qui leur permettrait de s'établir et de servir de modèle. Même la tendance au retour à la terre qui pointe parfois aujourd'hui est un retour plus individuel que collectif et ne s'inscrit pas dans un mouvement de communautés tel qu'il s'est ébauché dans les années 1960-1970 surtout aux États-Unis et en Allemagne. L'engouement du milieu libertaire pour les formes de vie et de lutte au Chiapas peut ainsi s'entendre comme projection d'une base arrière de substitution sur des aspirations à la communauté (sans faire de détail et de tri sur le fonctionnement jugé globalement plus ou moins « communiste » de ces communautés11) et/ou comme accommodement avec les anciennes théories foquistes pourvu qu'elles soient parées des couleurs de la « résistance » et des partisans.
Le groupe se penche aussi sur les grandes grèves des mineurs anglais de 198412. Au-delà de la critique du syndicalisme, la revue s'intéresse à ce qui a débordé la grève classique pour ouvrir vers « une guerre ouverte contre l'État » qui seule peut dépasser le particularisme corporatiste de la défense d'une activité et d'un statut pour ouvrir vers l'universel d'une convergence entre ceux qui sont encore salariés et ceux qui ne le sont déjà plus ou ne le seront jamais. Les termes d'émeutes et d'insurrection apparaissent au fil des pages.
D'ailleurs, très vite, la revue oriente son activité vers les pratiques émeutières des quartiers et essaie de décrire la révolte vue du dedans, au plus près du lieu où elle se manifeste, comme aux Minguettes à Vénissieux13 et à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise.
Notons au passage que l'histoire de la pacification des rapports sociaux suscite plusieurs interprétations. En effet, la « Marche pour l'égalité » de 1983 était une initiative des plus critiquables aux yeux des Cangaceiros car elle s'appuyait sur une vision naïve de la démocratie, les marcheurs prenant à la lettre le message révolutionnaire de 1789, notamment la revendication de l'égalité. Ce point de vue extrême d'Os Cangaceiros est aujourd'hui relativisé et interprété, par exemple, par quelqu'un tel que Alessandro Dell'Umbria, proche des FVM à l'époque, comme la dernière tentative de faire bouger les choses par le bas, tentative qui aura rencontré d'un côté, une honteuse récupération par SOS-Racisme et de l'autre, la répression. Alors que la « mouvance autonome » française est plus attirée par les marges, les squats et une sorte de contre-société vivant en cercle fermé, Os Cangaceiros cherche à développer les liens créés avec les prolétaires et autres pauvres14 au cours de chaque « événement » souvent lié aux autres par un même rapport à l'émeute. Comme groupe organisé, ils vont à la rencontre des prolétaires pour trouver dans la situation même l'ouverture vers des interventions qui leur semblent pertinentes et qu'ils revendiquent. C'est ainsi que l'expérience de ce groupe perdurera jusqu'au début des années 90 avec des sabotages et des actions à son actif telles, par exemple, celles visant la construction de nouvelles prisons15 à la fin des années 80.
On notera la réédition récente des textes d'Os Cangaceiros dans des circuits insurrectionnalistes, ce qui indique bien une certaine filiation historique, mais on peut émettre des doutes sur l'effet d'entraînement que cela peut produire. En effet, le contexte est aujourd'hui très différent et la coupure avec ce qui se passe en banlieue beaucoup plus forte. Parler de banlieue n'a d'ailleurs pas la même signification. Au moment des émeutes des Minguettes à Vénissieux et de Vaulx-en-Velin, il existait encore dans la première un dense tissu industriel et une mixité sociale, certes majoritairement populaire et construite sur la durée, qui n'existe plus aujourd'hui et, dans la seconde, des formes de liens communautaires (et non communautaristes) assez développés au sein d'une immigration d'origine maghrébine et africaine plus récente. Il y avait dans ces émeutes la négativité propre à toute émeute, maiselle reposait aussi sur une politisation sous-jacente qui s'était exprimée dans la marche pour l'égalité, mais qui était aussi perceptible dans les discussions de quartier et jusque dans les établissements scolaires16. « Beaucoup d'entre nous vivions d'ailleurs en banlieue et on y travaillait tout à fait “normalement” sans avoir à se poser la question d'un “établissement17” qui, en plus, nous rappelait fâcheusement celui pratiqué dans les usines par les maoïstes français vingt ans auparavant. »

À l'époque, il y avait encore non seulement une croyance en une jonction possible entre « émeutiers » et « révolutionnaires », à preuve certains numéros du journal Mordicus et ses appels à l'émeute en leur direction, mais une certaine proximité de terrain et de contact. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile parce que lorsqu'on n'avance pas on recule. On ne repart jamais du même point parce que la dynamique du capital se nourrit des affrontements sociaux et exploite l'évolution des rapports de force. Là encore, nous payons des échecs, ceux des années 1970; les rapports sociaux se sont durcis, les séparations urbaines se sont souvent accentuées, la « mixité sociale » a régressé, les cornmunautarismes ont progressé. Ce qui s'est passé en 2005 avec la révolte des banlieues confirme plus que n'infirme cela. Une vraie séparation est apparue entre la révolte de cette jeunesse et celle qui a lutté contre le CPE l'année suivante. Nous y reviendrons. Et ce qui vient de se passer en octobre 2010 n'invalide pas vraiment cela. Il ne s'agit pas de dire que rien ne s'est passé, mais de voir qu'on a juste assisté à une reprise de contact entre catégories qui ne se connaissent plus. De ce point de vue, on est en deçà des liens qui avaient été tissés en 1994 au moment du CIP, mais dans une tension beaucoup plus forte avec le pouvoir, vu le niveau atteint par la crise de reproduction des rapports sociaux.

La Bibliothèque des émeutes (1990-1995)


Huit numéros parus et une volonté de rassembler toute la documentation disponible sur les émeutes contemporaines qu'elle considère comme la forme privilégiée de la rébellion parce qu'elle ne procéderait pas d'un calcul politique, mais d'une révolte spontanée contre l'aliénation. Une aliénation qui serait prise de vitesse par l'immédiateté de l'émeute : « L'émeute est le seul moment pratique et public où l'aliénation est critiquée [...]. Dès qu'une émeute est organisée, elle cesse d'être une émeute. C'est sa force et sa faiblesse [...]. Les émeutes sont faciles à récupérer, à discréditer, à écraser; sauf au moment et là où elles ont lieu. Dans la profondeur du temps où nous sommes, elles sont à chaque fois comme des silex frottés avec maladresse et colère, mais dont le résultat inverse le froid et l'obscurité. Toutes trop vite noyées ou étouffées, les émeutes modernes n'en sont pas moins le vivant refus de la soumission et de la résignation, le pied de biche qui ouvre des perspectives [...] elles sont toujours une menace pour l'État dans un monde entièrement étatisé ; elles sont toujours urbaines dans un monde entièrement urbanisé; [...1 là où il y a des chefs, elles sont débordement de ces chefs, là où il y a des marchandises, elles sont destruction de la valeur marchande.18 »

La revue développe ce qu'elle appelle une « théologie » de l'émeute, définie comme le meilleur moyen « d'achever l'humanité » au prétexte que « tout a une fin ».
Elle conclut son premier numéro en disant qu'elle ne lancera pas d'autre appel à l'émeute car ce serait encore tracer un chemin, donner une direction contraire à l'immédiateté19. L'inconscience de l'émeute ne peut sortir d'une conscience critique. « On ne va pas à l'émeute, on s'y trouve. »
Cette revue envisage l'émeute dans une perspective mondiale et repère une différence de traitement médiatique pour 1992 qui n'est pas sans rappeler la vision dichotomique et manichéenne que nous avons déjà relevée ici. On a donc « la bonne émeute de Los Angeles », supposée répondre à la « colère légitime » provoquée par le tabassage de Rodney King par le Los Angeles Police Department (LAPD), la grève des camionneurs diffamée et qualifiée de stupide; la mauvaise émeute de Rostock qui serait raciste et d'extrême droite » (ibid., nº 6. 1994).
Dans son dernier numéro de 1995 (nº 8), la revue s'efforce de déterminer quel pourrait être « le véritable contenu de la prochaine insurrection » mais alors que, dans son numéro 1, elle reliait l'émeute, par sa contagion, à l'insurrection, puis l'insurrection à la révolution quand elle prend la totalité comme objet, bizarrement elle s'appuie cette fois sur la théorie des conseils et l'expérience de la période 1917-1923... qui n'a pourtant pas grand-chose à voir avec les pratiques émeutières.
À noter enfin que ce point de vue est encore celui de la totalité ce qui n'est plus le cas chez nombre d'insurrectionnalistes qui, à la suite de F.Guattari, dénoncent la fiction de l'Un et s'appuient sur le moléculaire plus que sur le molaire, le local plus que sur le global.
À l'occasion, l'émeute gagne ses lettres de noblesse alors que, traditionnellement, elle est plus liée au langage du pouvoir et des médias, qui lui donnent une connotation péjorative, qu'à celui de protagonistes qui s'en réclameraient. Ainsi, Mike Davis signale, dans Les Héros de l'enfer (Textuel, 2007), à propos des manifestations de Watts (Los Angeles) en 1965, que les porte-parole du quartier parlèrent de rébellion alors que les médias blancs stigmatisèrent les émeutes (p. 35). Dans un premier temps, les habitants du quartier regagnèrent bien une certaine fierté transformant leur stigmatisation en action de révolte20. Pourtant, M. Davis rappelle opportunément que, malgré les prévisions de certains sociologues américains à propos des émeutes de Los Angeles, un cocktail de rockers éthiques, de peintres muralistes, de break dancers et de rappeurs finira par former une nouvelle intelligentsia organique pour un « nouveau bloc historique oppositionnel ». Mais, après l'élimination des Black Panthers au début des années 70, des groupes se réclamant initialement de la contestation politique virèrent au gang au fur et à mesure que leur espoir d'émancipation s'effaçait de l'horizon.
À la « théologie » de la Bibliothèque des émeutes va succéder la « métaphysique critique » de Tiqqun.

Tiqqun : De présupposés théoriques éclectiques à une nouvelle forme de programme


Pour bien comprendre le renouveau insurrectionniste il nous semble nécessaire d'examiner ce qui l'a inspiré au cours de ces dix dernières années, en France du moins. Repartons donc de la revue Tiqqun qui, malgré ou à cause de son parti pris élitiste et de son éclectisme21, va fournir des armes théoriques et des pistes pratiques à toute une mouvance.
Dans un texte comme Introduction à la guerre civile de Tiqqun, nº 2, on trouve une mise en place des concepts-clés de la revue : l'insurrection, l'émeute et la guerre civile qui donnent l'impression que les processus révolutionnaires ne sont perçus qu'à travers l'insurrectionnisme de Blanqui. Toutefois, ces références se trouvent déjà chez Babeuf22. Remonter jusqu'à cette lointaine période historique peut paraître un peu déplacé, mais pas si on considère des problèmes qui apparaissent comme récurrents quand on parle d'insurrection, que ce soit dans la phase pré-prolétarienne comme dans la phase post-prolétarienne. Des problèmes, par exemple, entre l'ensemble de la classe ou « les masses » et les fractions communistes23. Après la défaite de 1848, la guerre civile devient une arme de la bourgeoisie contre les révolutionnaires, mais non contre des travailleurs qui lui sont nécessaires. Ce sont les débuts du « mouvement social » qui a peu à voir avec l'insurrection révolutionnaire et qui sera même son fossoyeur quand il réussira à se pérenniser sous la forme des grands partis ouvriers sociaux-démocrates, puis léninistes et, enfin, staliniens.
Mais ce terrain de la guerre sociale, catégorie traditionnelle de la pensée insurrectionniste, est repensé par Tiqqun non pas à partir des idées de Babeuf ni même à partir de celles de La Commune, qui vit pourtant se heurter insurrection et contre-insurrection dans un premier temps, puis guerre révolutionnaire contre guerre civile dans un deuxième temps, mais, ô surprise, à la lumière des théories de Carl Schmitt sur la guerre civile.
Il faut préciser tout d'abord que, pour C.Schmitt, le postulat premier du politique est de permettre la distinction entre ami et ennemi. Dès lors, la tâche de l'État, en tant qu'acteur politique, peut être simplement d'assumer et de décider qui sont les ennemis non seulement extérieurs, mais aussi intérieurs. On a là une interprétation de C.Schmitt qui renvoie à l'utilisation que les fascistes ont fait de ses thèses. Cette conception de l'activité politique souveraine laisse donc libre cours à toutes les dérives d'un État dont la force paraît proportionnelle à sa capacité d'action. Plus l'État taperait du poing en désignant l'ennemi24, plus il serait fort. Ainsi, il est clair que l'insurrectionnalisme actuel interprète les événements de cette manière à chaque action de répression réalisée par les forces de l'ordre. Nous y reviendrons.

En outre, la conception d'une « guerre civile mondiale » part de l'idée d'un déclin des guerres entre États-nations à une époque ou l'arme atomique rend quasiment impossible un nouveau grand conflit ouvert, au profit d'une « guerre totale » que représenterait la guerre de guérilla. Pour Schmitt, les guerres à venir (c'est-à-dire actuelles pour nous) ont pour modèle la guerre révolutionnaire dont le but est de subvertir l'ensemble de la société à laquelle elle s'attaque et non pas seulement une force extérieure qu'il suffirait de vaincre militairement, mais finalement superficiellement en laissant tout le reste inchangé. Cette construction théorique de Schmitt rompt avec une vision traditionnelle de la guerre où s'affrontent des forces belligérantes relativement symétriques comme au cours des deux premières guerres mondiales puis de la « guerre froide ». Schmitt pense que la prochaine guerre ressemblera plutôt à une opération de police ou de politique intérieure menée au nom d'un nouvel ordre mondial — opposant des forces a priori dissymétriques et de natures très dissemblables25. En fait, l'ennemi sera de plus en plus un ennemi « intérieur », intérieur à l'État (intérieur à l'Empire, dit Tiqqun).
Tiqqun s'empare de ce schéma et se positionne comme un symbole de l'existence d'un ennemi potentiel dans ce monde. Un ennemi qui se désigne un autre ennemi en la personne de la police, bras armé (« machine de guerre ») du ministère de l'Intérieur et de ses diverses ramifications26. Mais comment Tiqqun va-t-il réussir le tour de force théorique d'intégrer son héritage marxiste (la guerre de classes) à son héritage schmittien (la guerre civile menée par les partisans) ? Cela reste pour le lecteur un mystère, un mystère qui cache une impasse, celle de s'appuyer uniquement sur les initiatives de l'ennemi pour espérer s'y opposer et le vaincre. En effet, dans la perspective de la guerre sociale il est bien évident que les classes mènent tour à tour l'offensive dans le cadre de la lutte des classes (ce qu'on appelle la dialectique des luttes de classes). Par exemple, la contre-révolution serait une réponse à la révolution. Mais, dans la guerre civile, la perspective change. Il n'y a plus de contradiction dialectique, mais une simple opposition entre dominants et dominés, et les premiers préparent à l'avance, par des techniques contre-insurrectionnelles... « l'insurrection qui vient27 ». On n'est pas loin des théories du complot, surtout quand Tiqqun insiste sur les « infiltrations et les exfiltrations » des groupes extrémistes comme pour s'en démarquer (p. 259).

Il s'agirait, pour les pouvoirs en place, de « former des hommes à la lutte contre nous » (p. 259), mais « nous », c'est qui et quels seraient les déterminations de ces nous qui les porteraient à résister si les dispositifs contre-insurrectionnels sont si préventifs et efficaces?
Par une suite logique, cette revue ne cite pas un seul des théoriciens de l'insurrection alors que Schmitt cite nommément Lénine ou Che Guevara, mais il faut reconnaître que ces figures révolutionnaires ne sont plus politiquement correctes, y compris dans le « camp » révolutionnaire ! On peut aussi noter qu'elle ne parle pas plus des embryons de guérillas plus récentes, comme celle des GAP de Gianfranco Feltrinelli en Italie, au début des années 1970 ou même celle menée par les BR peu après, ces deux dernières en référence plus ou moins marquée à la guérilla antifasciste28. Tiqqun en reste au modèle des Tupamaros uruguayens dont la stratégie est à couper le souffle : « Les mots nous divisent, les actes nous unissent » et les insurrectionnalistes des années 2000 ont repris cela en chœur29.

Tiqqun note seulement que dans la guerre de guérilla, le partisan est le combattant irrégulier, c'est-à-dire celui qui passe outre les conventions de la guerre tel que le droit international les a élaborées tout au long du XIXe et du XXe siècle parce qu'il n'en reconnaît pas la légitimité.
En fait, ce qui intéresse Tiqqun ici, ce n'est pas tant la stratégie de la guerre révolutionnaire (et on comprend alors pourquoi elle n'en cite pas des théoriciens reconnus même par l'ennemi, comme le général nord-vietnamien Giap) que les techniques contre-insurrectionnelles mises en place à partir de la bataille d'Alger, c'est-à-dire en milieu urbain. Tiqqun en vient donc à parler, dans Ceci n'est pas un programme (Tiqqun, II, p. 258-259), de cette guerre de partisans, en la raccordant comme Schmitt aux guerres de décolonisation et particulièrement à la guerre d'Algérie parce qu'elle aurait servi de terrain d'expérience pour le contrôle des populations civiles, « le marquage des individus à risque », « la guerre psychologique », « le massacre d'État », la manipulation médiatique, etc. Ces techniques furent aussi développées par l'armée anglaise en Irlande du Nord.
À travers ces techniques, ce serait l'État d'exception schmittien (Tiqqun emploie plus exactement le terme « d'état d'urgence permanent ») qui remplacerait l'État libéral, « la règle devenant un ensemble d'exceptions ».
Cette guérilla urbaine remet en question l'art de la guerre tel qu'il avait été théorisé préalablement sous sa forme classique clausewitzienne. En effet, ce « nouveau partisan » se distingue profondément du partisan des luttes anti-fascistes et même du partisan des luttes anti-coloniales qui représentaient justement des figures séparant complètement un combat ciblé et restreint contre un ennemi particulier, du reste des rapports sociaux. Le partisan était au service d'une « cause » extérieure à sa propre situation sociale, et l'anti-fasciste ou l'anti-colonialiste pouvait être bourgeois, prolétaire ou paysan, son statut étant secondaire30. En France, l'archétype en est Jean Moulin, chef de la Résistance, mais ex-préfet de la IIIe République.
Mais si la figure du partisan traditionnel est liée à la représentation d'un État de type État-nation à stratégie souverainiste (comme dans l'Appel du 18 juin du Général de Gaulle) ou à une lutte de libération nationale, elle cadre mal avec le contexte actuel d'un État-nation en déliquescence qui fait place progressivement à un État-réseau. En réalité, la position du partisan ne peut être tenable que face à un État qui fait bloc. Le partisan peut s'opposer à l'État fasciste car c'est l'archétype de l'État fort dans la mesure où il a neutralisé, au moins provisoirement, l'ensemble des contradictions sociales qui le traversent, mais c'est moins vrai dans un État faible déjà organisé en réseaux clientélistes et mafieux de par sa structure archaïque (l'Italie des années 70 où ce sont les réseaux clientélistes qui structurent l'État) comme l'a montré l'échec des GAP de G. Feltrinelli, conçus justement sur le modèle de la guerre de partisans31 alors qu'il n'existe plus de base arrière pour la faire vivre. Comment concevoir la pertinence de ce modèle dans le cadre d'un État qui s'est redéployé horizontalement en réseaux tout en se restructurant verticalement par niveaux hiérarchisés, mais coopératifs?32 Ceci apparaît d'autant plus difficile que Tiqqun définit l'Empire comme un ensemble de dispositifs en temps normal et qui n'existe visiblement, sous forme systémique, que dans la crise! Et de toute façon, comment faire coller ce néo-partisanat avec l'idée d'insurrection?
Le flou le plus total concerne cette question et c'est parfois le commandant Marcos et le Chiapas qui sont donnés comme modèle parce que, premièrement, il y aurait sécession au moins dans une aire géographique, même limitée, deuxièmement, parce qu'il y aurait une forme de guérilla latente qui n'est ni la guerre classique ni la lutte armée et enfin, troisièmement, parce qu'il y aurait prise d'appui sur le commun des liens indigènes33. Il en est un peu de même pour les références à Via Campesina et au Mouvement des sans-terre. Ou alors, ce sont les jeunes des banlieues des métropoles occidentales qui sont exemplaires dans la mesure où ils reproduisent, mais d'une manière transposée, la « guerre des pierres » en Palestine et le fantasme de quartiers qui reconstitueraient des bases arrière capables de bouter la police hors leurs murs. Mais le jeu du chat et de la souris n'est pas de la guérilla et, malgré certains faits d'armes mis en exergue, on ne peut à la fois annoncer des chiffres significatifs de victimes policières et dénoncer partout une occupation policière. En outre, si la police est considérée comme l'ennemi principal avec l'idée pas toujours explicitée que la répression va se renforcer, que cela va entraîner des bavures et des morts, donc de la révolte de masse et, finalement, un écroulement de l'État, il n'est absolument pas tenu compte de l'existence de forces militaires (450 000 hommes en France) appuyées sur des armes lourdes et prêtes à intervenir si le besoin s'en fait sentir.
Indépendamment des critiques qu'on pourrait formuler sur ces trois points, nulle différence n'est faite entre une situation où il existe encore ce qu'on peut appeler « une base arrière » pour la sécession et une autre, celle de nos grandes métropoles qui les a détruites. Le « rurbain » (Henri Lefebvre) a remplacé la division ville/campagne à l'exception de quelques régions inhospitalières qui laissent place à quelques expérimentations, le plus souvent individuelles. L'hypothèse foquiste ou guerilleriste dans les pays dominants ne peut pas se développer car elle ne rencontre pas de rapports sociaux qui pourraient lui servir de refuge.
En fait, on peut trouver deux acceptions insurrectionnistes de la notion de guerre civile.
Selon la première, la révolte se caractérise aujourd'hui « par l'action violente et décidée des insurgés qui occupent les rues et s'affrontent violemment avec tous les organes de l'État, mais aussi entre eux ». « Nous sommes à la veille de la guerre civile, nous sommes déjà dans la guerre civile34 ». Dans cette conception, on a une confusion entre d'un côté la barbarisation des rapports sociaux, comme conséquence de nos défaites précédentes et des soubresauts qui agitent la société capitalisée, et de l'autre avec ce que la dimension insurrectionnaliste comprendrait nécessairement de passion, de fureur, de sauvagerie, de « forces primordiales de la barbarie35 ». Cette guerre civile signalerait le retour du multiple contre le fantasme de l'Un. Dit autrement, le processus actuel de totalisation (l'Empire pour Tiqqun, la société capitalisée pour Temps critiques) naîtrait de la crise du processus d'universalisation liée aux Lumières.
Selon la seconde conception et pour Tiqqun, la guerre civile en cours est en réalité une guerre continue contre la population, et elle prend la forme d'une pacification armée, œuvre de la contre-insurrection comprise comme si c'était là une contre-révolution. D'ailleurs, « Comment faire? », Tiqqun (TII, p. 27) confirme cette confusion en parlant de contre-révolution « préventive ». Mais, en réalité, le dernier assaut prolétarien des années 1960-1970 n'ayant pas donné lieu à une révolution, il ne peut pas y avoir de contre-révolution. Il est plus juste de parler d'une dynamique de restructuration du capital qui se met en place après les défaites de la révolte de la jeunesse et de l'insubordination ouvrière de ces décennies-là. Dit autrement, ce sont les mouvements des années 1960-1970, y compris d'ailleurs les mouvements de libération nationale et les mouvements guerilleristes ou « foquistes » d'Amérique latine qui ont été battus et c'est le capital qui fait sa révolution36.
En fait, Tiqqun est obligé de forcer l'analyse en faisant exister comme prémisse à tous ses développements l'existence d'une réalité insurrectionnelle déjà présente supposant, comme on l'a vu, des dispositifs contre-insurrectionnels déjà à l'œuvre37, d'où l'emploi du terme de guerre civile. Si des indices de ces dispositifs existent bien, on peut quand même douter d'une réalité insurrectionnelle latente ou déclarée en Europe. Mais deux autres obstacles se dressent pour l'utilisation de cette notion. Tout d'abord, l'emploi de la notion de guerre civile nécessite qu'il y ait encore une société civile, conception largement empruntée à Hegel et Marx dans leur description de la société bourgeoise, mais qui ne vaut plus pour les individus égogérés de la société du capital. D'ailleurs, Tiqqun le reconnaît indirectement en disant que l'Empire est immanent à la société (Tiqqun, nº p. 21, 49, glose). Ensuite, la question de la guerre civile, telle qu'elle a été posée, en Europe, depuis les guerres de religion, est à mettre en relation avec celle de l'État à l'époque de la mise en place d'un État moderne mettant fin à la guerre de tous contre tous ou de chacun contre chacun comme le disait Hobbes. Pour ce faire, cet État devait justement organiser et encadrer une « société civile ». Or, c'est cet État qui est aujourd'hui en crise. En crise à la fois en sa qualité d'État-nation, et en sa qualité d'intégrateur et de pacificateur social. En effet, dans un premier temps (1945-75), l'État politique s'est fait État social sans sacrifier sa première fonction à la seconde, ce qui lui a permis de résister au dernier assaut prolétarien et aux mouvements de lutte armée38; dans un deuxième temps, l'État-nation devient un État-réseau dans lequel les institutions sont résorbées ou s'autonomisent afin de prendre des formes plus contractuelles, plus flexibles, se calquant sur le modèle du marché. Les institutions, mais aussi tous les anciens agents de médiation, se montrent incapables de s'adapter à la nouvelle donne qui privilégie le contrôle, y compris l'auto-contrôle plutôt que la pure discipline. L'État est donc devenu très fort en tant qu'« État du capital » à l'intérieur d'une société capitalisée qui n'a pu s'instaurer qu'après une véritable révolution du capital, une révolution qui n'est pas seulement économique, mais aussi anthropologique. Ce qui en découle est une situation de pacification sociale d'autant plus accomplie qu'elle est capable de réaliser la fin de la séparation entre État et société civile au sein de la société capitalisée. L'Allemagne et les pays scandinaves, le Japon à un autre niveau nous en fournissent les meilleurs exemples. Là où les institutions résistent c'est, comme en France, parce qu'elles sont encore investies non pas d'une simple fonctionnalité bureaucratique, mais d'une valeur politique entretenue par le pouvoir et ressentie par les dominés comme le souvenir, si ce n'est la marque actuelle, d'idéaux révolutionnaires ou au moins universalistes. C'est sur cette base que fleurissent des initiatives « citoyennes » qui se situent dans cet entre-deux.


L'Appel (2003)


qui est sans référence explicite à Tiqqun, n'en représente pas moins sa version militante. Le contexte historique y est réaffirmé, c'est celui de la « guerre civile mondiale » (Proposition II) et des conflits de nature asymétrique39. Les analyses sont précisées de manière à dégager des positions à caractère programmatique.
Dans la proposition I, c'est la notion de « sécession » qui est mise en avant et celle d'opposition, y compris extra-parlementaire, qui est critiquée car elle impliquerait une sorte de parallélisme entre des forces opérant sur le même terrain. Les auteurs semblent donc en rester à l'idée que le capitalisme est un ensemble de dispositifs qui font « systèmes40 » et définissent donc une clôture. S'y opposer ou le critiquer de l'intérieur ne peut à la limite que le renforcer41. Il y a là une filiation avec Tiqqun dans un refus de s'abandonner à la dialectique conduisant à un dépassement (Aufhebung) des contradictions à partir d'une seule totalité; mais il y a aussi une grosse différence, et pour nous plutôt une régression, dans le fait de ne pas voir le capital dans ses nouvelles dimensions. Le capital semble être une superstructure parmi d'autres ou un dispositif de pouvoir parmi d'autres, alors que la notion de « dispositif » employée par Tiqqun et tirée du vocabulaire deleuzien, puis negriste permettait, non sans risque, d'approcher la question de la mise en réseau du capital et des États. Néanmoins, L'Appel prolonge Tiqqun en faisant porter l'assaut non contre le seul capitalisme réduit à un mode de production comme dans la vision marxiste, mais contre la Civilisation (influence de Coeurderoy et des « cosaques ») et contre l'Empire, signalant par là que la lutte contre la domination est d'une bien plus grande ampleur que ne l'avait envisagé différentes générations de théoriciens de la révolution.
Pour les auteurs de L'Appel, il s'agirait donc de se désaffilier. La reprise (non revendiquée explicitement) de la notion sociologique de R. Castel inverse malheureusement le processus à l'œuvre. En effet, la désaffiliation, c'est la dynamique de restructuration du capital qui la produit et non pas la désertion des individus qui reste très marginale à l'intérieur de ce processus et qui ne se manifeste le plus souvent que par des pratiques ponctuelles ou occasionnelles de survie. Les formes de sécession historiques dont ils se réclament laissent un peu perplexe : elles mêlent la force d'irruption des Blacks Panthers à l'autonomie allemande pour les cantines collectives; le néo-luddisme anglais des maisons dans les arbres et de l'art du sabotage au choix des mots par les féministes radicales; enfin, l'autonomie italienne des auto-réductions à la joie armée du Mouvement du 2 juin allemand. C'est un « Appel » auquel beaucoup de personnes peuvent répondre tant les références sont diverses et hétérogènes.
Dans sa proposition III, c'est le recours à la « lutte criminelle » qui est avancé (là encore sans référence au mot d'ordre lancé par le groupe italien Comontismo en 1970 car il faut toujours faire croire qu'on fait preuve d'originalité). Néanmoins, une référence historique intéressante est faite au mouvement ouvrier américain de la fin du XIXe au début du XXe siècle, qui n'a pas hésité à se confronter violemment à l'État et aux patrons parce qu'il n'était pas phagocyté par la social-démocratie42.

La critique de l'activisme est développée mais reste ambiguë car, si l'activisme qui est présence à l'événement est préféré au militantisme défini comme absence à la situation, le texte reconnaît que le premier ne perdure qu'en rejoignant le second. En fait, c'est une position immédiatiste qui s'exprime dans les deux cas. Une position forcément immédiatiste puisqu'elle s'articule (proposition IV) avec l'idée du lien à construire entre vie et pensée de façon à rendre « le monde sensible » et à lutter contre toutes les séparations (proposition IV). Le texte fait la critique du « libéralisme existentiel » au nom duquel chaque individu pense choisir sa vie et faire son choix, mais ses auteurs s'excluent trop facilement de cette tendance, eux qui veulent justement « dépasser » le problème du rapport entre conditions objectives et conditions subjectives par le simple fait de ne pas tenir compte des premières.
La proposition V revient sur la nécessité de la « lutte criminelle » en affirmant de façon provocatrice que « la possibilité de former des gangs n'est pas pour nous effrayer; celle de passer pour une mafia nous amuse plutôt ». La fin justifie les moyens à partir du moment où la première fin est d'accroître la « puissance ». Tous les lieux qui le permettent sont à créer ou à pénétrer, ainsi le milieu des squats avant qu'ils ne se transforment en une scène internationale où les normes nouvelles de l'existence remplacent les exigences d'une stratégie.
Enfin, les propositions VI et VII abordent la question de la « communisation », ce qui indique un petit détour, là encore non mentionné, vers les thèses des « communisateurs » et particulièrement des groupes-revues Théorie communiste, Meeting et Trop Loin. Mais cette communisation est plus envisagée comme une prise sur le tas anarchiste pur jus ou, à la limite, comme une forme de partage des richesses que comme une saisie collective des moyens de production. C'est d'ailleurs logique puisque la brochure ne se situe pas sur le terrain de la valorisation et de la production, mais on touche là aux limites de tout bricolage théorique. La communisation est perçue comme l'action purement subjective des individus de la sécession (on retrouve la proposition i), c'est-à-dire d'une avant-garde qui ne dit pas son nom, mais qui annonce triomphalement « Nous avons commencé. » Les autres ne pourront que s'y joindre mais, auparavant, ils ne sont que des individus de la soumission.
Autre différence avec les communisateurs, c'est que si les deux tendances disent qu'il ne doit pas y avoir de phase de transition, mais communisation immédiate, les appellistes entendent par-là Faction immédiate pour développer des lieux et pratiques alternatives alors que pour les communisateurs il ne peut exister d'îlots de communisme avant que les conditions d'une communisation de grande ampleur ne soient réunies.
L'alternative des appellistes est toutefois très différente de ce qu'on pourrait appeler l'idéologie des « alternatifs » car ils la conçoivent comme s'insérant à la guerre civile, comme processus.
C'est cette idée de processus que l'IQV va reprendre, mais il ne s'agit plus tant d'un mouvement vers la communisation que d'un mouvement vers l'insurrection même s'il peut passer par le développement de la forme Commune : « Une multiplicité de communes qui se substitueraient aux institutions de la société : la famille, l'école, le syndicat, le club sportif. » (p. 90)

L'Insurrection qui vient


n'apporte pas vraiment de points nouveaux par rapport à Tiqqun et à L'Appel. Il représente plus une synthèse de divulgation qu'un approfondissement. C'est pour cela qu'il procède par thèmes (les « cercles ») et tente de faire le tour des questions « de société ». Il n'empêche qu'au détour de certains thèmes, il précise des points qui permettent de mieux distinguer l'insurrectionnalisme du gauchisme ou de l'anarchisme encarté syndicalement ou politiquement.
C'est le cas, par exemple, de la question du travail où sans aller jusqu'à théoriser que le capital est un rapport social (nous avons vu que c'est une faiblesse d'ensemble de ce courant) insiste sur deux côtés du travail, à la fois exploitation et participation (p. 30), sur le fait que le travail a triomphé (il est « la seule façon d'exister »), niais que le travailleur est devenu superflu (ce que nous appelons « l'inessentialisation de la force de travail »).
Nous vivrions ainsi dans « une société de travailleurs sans travail », comme disait H. Arendt il y a déjà longtemps.
Il est à remarquer que pour décrire cette tendance actuelle au « non-travail »; l'IQV emploie le terme de paradoxe là où les marxistes emploient celui de contradiction sans nous dire si c'est par refus de la dialectique ou si c'est vraiment parce qu'elle pense qu'il n'y a pas de contradiction là-dedans, mais seulement une tendance lourde du capitalisme qui n'enclenche aucun processus révolutionnaire de la part de ce qui est vu, par les gauchistes ou des anarchistes, comme l'émergence possible d'un « nouveau sujet ». En tout cas, l'IQV critique cette tendance à voir dans le précariat une panacée et s'exprime on ne peut plus clairement là-dessus et on ne peut qu'être d'accord avec cette affirmation : « [...] être précaire, c'est encore se définir par rapport à la sphère du travail, en l'espèce, à sa décomposition. » (p. 29)
C'est aussi le cas de la question de la forme démocratique au cours de l'action. Nous avons vu que les groupes précurseurs étaient parfois partisans d'un « assembléisme » qui, à l'époque, tranchait avec les vieilles pratiques du mouvement ouvrier ou même avec des positions plus traditionnellement conseillistes. Un assembléisme qui, au moins en France depuis 2003, est malheureusement devenu une mode pour tous les gauchismes. L'IQV prend clairement ses distances avec ce « démocratisme radical43 », qu'il se manifeste sous la forme d'une croyance en la possibilité de former des néo-syndicats non bureaucratisés ou encore sous celle d'une préférence pour des coordinations régulièrement noyautées par différentes tendances trotskistes44 ou, enfin, en faveur d'une « autonomie » ou de « l'auto-organisation » par le biais d'assemblées générales qui sombrent non sous les palabres, mais sous le bureaucratisme des tours de parole et la manie des votes pour des motions ou des mandats octroyés à des personnes qui ne représentent qu'eux-mêmes ou leur organisation45. Pourtant, l'IQV ne fétichise donc pas la forme : « Il n'y a pas une forme idéale à l'action. L'essentiel est que l'action se donne une forme. » (p. 114)


1 Cf. le tract intitulé « Nous parlons de la richesse qui nous manque », p. 118 du nº 2 des fvm (avril 1979).
2 Sur ces points on pourra consulter Introduction à la science de la publicité, éd. Champ Libre, 1975; Une enquête sur la nature et la misère des gens, éd. Champ Libre, 1976.
3 Cf. p. 45-50 et p. 96 du numéro 4, des notes sur les « rodéos » des Minguettes à Vénissieux et p. 80-94 des notes sur les émeutes de Brixton.
4 Il est à noter qu'un cercle de jeunes prolétaires de Turin se crée en 1977 et prend le nom de Cangaceiros. Il se livre à des opérations d'expropriation et d'autoréductions sauvages (cf. Marcello Tari. op.cit, p. 167).
5 Cf. Le numéro 2, p. 83-86. Certaines des informations ici reprises (surtout celles qui proviennent des luttes contre les prisons et en solidarité avec les prisonniers révoltés) proviennent aussi d'une brochure d'un ancien Cangaceiro, écrite en anglais en 1995 et traduite en français en juin 2000 sous le titre de La piste brouillée des Cangaceiros dans la pampa sociale. Cette brochure comprend aussi une partie d'auto-critique sur les rapports entre action clandestine, illégalisme et terrorisme.
6 Ces actions eurent un certain retentissement surtout au moment du procès d'A. Khalki qui avait essayé de libérer ses camarades Courtois et Thiollet. À cette occasion, le réseau du métro fut bloqué pendant plus d'une heure par le lancement d'objets lourds sur les voies.
7 Devant le projet de construction de 13000 nouvelles cellules par l'administration pénitentiaire, le groupe répond par la distribution du dossier nommé « 13000 Belles » qui fera figure de manuel d'évasion pour la presse. Le journal Mordicus en fera pour sa part la publicité.
8 cf. L'article « Hommage aux Asturies », p. 37-46 du no 2.
9 cf. L'article « L'assemblée est notre arme fondamentale » (ibid, p. 47-57) qui développe l'idée de l'assemblée comme forme de communication et de « publicité » (p. 57). On discerne ici l'influence théorique de J. P. Voyer déjà présente chez les Fossoyeurs du vieux monde (cf. p. 17 de leur numéro 3).
10 Nous avons déjà évoqué cette question dans un supplément de la revue Temps critiques : « Les semences hors sol du capital » (septembre 2000 : http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article97). Nous y disions : « En pratiquant l'installation en dehors des normes imposées par la politique agricole, mais aussi en développant des formes de solidarités et d'échanges de savoir, ces collectifs (le mouvement “Droit paysan” par exemple) semblent réactiver à leur manière l'ancienne stratégie des “bases arrière” que les révolutionnaires et les résistants établissaient jadis dans les montagnes. Mais il y a-t-il encore un “avant” et un “arrière” dans la société capitalisée et pour les luttes contre le capital aujourd'hui? » (p. 7)
11 On peut remarquer qu'un ex-membre des Cangaceiros, Georges Lapierre, est aujourd'hui très dithyrambique par rapport à ces communautés du Chiapas.
12 Cf. l'article « Brick keeps britain beautiful » (la brique fait le charme de l'Angleterre).
13 Cf. L'article « Minguettes blues », dans le numéro de janvier 1985, p. 7-­17. Une enquête sur les conditions de vie dans les quartiers de Marseille avait déjà été écrite fin 1984 par deux futurs Cangaceiros et sera publiée dans le nº 1 de la revue, p. 23-34, sous le titre « Rapport sur Marseille ».
14 Si la notion de « pauvre moderne » a déjà été développée dans l'Internationale situationniste, il s'agit plutôt ici de la notion prise au sens de J.-P. Voyer, proche de l’is au début des années 70, une notion qui ne se réfère pas uniquement à une critique de la fausse richesse capitaliste, mais aussi au fait que la dimension classiste n'est plus opérante. Le terme même de prolétaire devient donc inadéquat car trop restreint et trop marqué par son caractère encore classiste, la référence n'est plus la classe ouvrière.
15 Lire la chronologie de cette action sur le site de « Basse Intensité » : http://basseintensite.internetdown.org/IMG/pdf/tmb-chronolight.pdf.
16 Les locaux de la direction du collège des Noirettes à Vaulx-en Velin y furent d'ailleurs brûlés et pour de « bonnes » raisons, après des grèves d'élèves contre les méthodes musclées de cette même direction, grèves qui ne furent pas soutenues par les enseignants (six grévistes seulement dont un seul titulaire membre du sgen-cfdt).
17 Si ce problème s'est posé pour les fvm ou Os Cangaceiros, c'est parce qu'ils n'étaient pas de la région lyonnaise. Mais il semble que le problème se repose aujourd'hui d'une manière plus générale parce que la déterritorialisation est devenue telle que les insurrectionnalistes, dès qu'ils ne se contentent pas de créer de nouveaux milieux comme à la Croix-Rousse à Lyon, ou à Belleville, à Paris, ou à Montreuil, en très proche banlieue parisienne, ont tendance à imaginer des nouvelles formes de réenracinement. Tarnac, c'est la campagne, mais c'est plus problématique en zone urbaine.
18 Bibliothèque des émeutes : « De l’émeute », no 1, 1990.
19 Comme c'est souvent le cas dans les écrits apologétiques de l'émeute, les auteurs de cette Bibliothèque confondent immédiateté et spontanéité. Leur immédiatisme fait du moment de l'émeute une sorte de happening participatif, une catharsis collective qui viendrait expulser les ressentiments et les colères des émeutiers. Si l'émeute peut s'attaquer aux signes et aux symboles des médiations étatiques et du pouvoir du capital, son intervention est d'abord instantanée, en dehors d'une temporalité sociale et, donc, de toute perspective sur l'avenir. Son rythme est celui de l'urgence et de la destruction-dévastation. Avec une tout autre intention, bien sûr, mais dans le même espace hors temps, on assiste à ces opérations commandos du capital illimité, celles des « patrons voyous » qui déplacent en une nuit les machines ou celles des « patrons escrocs » qui s'enfuient avec la caisse comme cela se produit fréquemment en Chine aujourd'hui dans les entreprises de sous-traitance.
20 On retrouve un peu ceci en France aujourd'hui avec la fierté des « 9-3 » de la Seine-Saint-Denis.
21 Comme le remarque Jacques Wajnsztejn dans son article « Réflexions sur Tiqqun » du nº 15 de Temps critiques : http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article213. L'absence de références explicites semble correspondre à une volonté de rupture où ce qui est « emprunté » serait tellement mis dans une autre perspective que cela ne vaut plus la peine d'en parler. Le langage et les pratiques situationnistes sont ainsi largement utilisés (« la vérité de l'époque », « la création de situations », « l'apparence s'autonomise de tout monde vécu », la critique du spectacle) en dehors de leur contexte.
22 « Tu ajoutes que cette marche vers la conquête de la parfaite égalité ne pourrait encore s'opérer que par les horreurs de la guerre civile. La guerre civile! Je te demanderais s'il en est une plus horrible que celle qui existe perpétuellement dans l'établissement de la propriété, par le moyen de laquelle chaque famille est une république à part, qui, par la crainte d'être dépouillée, et l'inquiétude constante de manquer, elle ou les siens, conspire sans cesse pour dépouiller les autres » (Babeuf : Lettre à Antonelle, citée p. 48 de La Ballade du temps passé, de Philippe Riviale, Anthropos, 1977.
23 Nous suivons toujours Babeuf : « La classe qui reste toujours calme [...] ne voit jamais dans les mouvements populaires que les emportements d'une multitude indomptée [...] Il n'y eut que la multitude de ce que cette classe-là appelle la canaille parisienne qui s'ébranla; et quelque nombreuse que puisse être la multitude parisienne, elle ne représente qu'une poignée de factieux relativement à la population de toute la France. » (Albert Soboul [avant-propos], Babeuf et les problèmes du babouvisme, Paris, Éditions sociales, 1963). Tout y est : la canaille à la place de la « racaille », la multitude... Babeuf y rajoute le « Parti insurrecteur » qui vise, par son action, à porter dans les faits ce qui n'existe que comme tendance. C'est un mouvement qui mène à la communauté en ce qu'il fait des mobiles, des actes de chacun, la destinée de tous. Ne dirait-on pas l’iqv ? Et, dans cette insurrection, tous devraient quitter leur rôle spécifique et leurs quartiers, se répandent dans les endroits les plus inattendus et ne pas se renfermer sur soi comme ce fut le cas en 1848.
24 « Il faut garder à l'esprit que toute pensée politique commence par une prise de parti et par une division [...] Le critère du politique est la distinction entre ami et ennemi. », p. 129, Carl Schmitt, La Guerre civile mondiale, éd. Ère, Paris, 2007. C. Schmitt est un théoricien allemand du droit qui développe l'idée d'une souveraineté absolue de l'État. Bien que représentant de la droite conservatrice, certaines de ses thèses comprennent, comme souvent dans l'Allemagne des années 1920-1930, une critique de la société bourgeoise. C'est d'ailleurs cet usage de Schmitt qui fait que la presse allemande de gauche (le Tageszeitung du 23 novembre 2010) a fortement critiqué les thèses de l'iqv qui viennent d'être traduites en allemand. « Les auteurs s'appuient sur Carl Schmitt, le juriste principal du IIIe Reich, dont ils reprennent les thèses sur l'État d’exception [...], ou la notion de politicien. Une autre influence déterminante est celle du philosophe Heidegger dont la pensée a servi le national-socialisme. Son ressentiment contre la technique et le monde moderne ont notamment inspiré le livre. » On laissera à ces « de gauche » la responsabilité de leur jugement, mais il est un fait certain, c'est que des actions récentes en Allemagne (un commando mystérieux vient, début novembre 2010, de sectionner un câble électrique perturbant gravement le trafic ferroviaire pour empêcher l'acheminement de déchets nucléaires) font craindre une contagion des thèses insurrectionnistes. Les Grünen allemands déclarent d'ailleurs à leur congrès de Fribourg « Il est de la responsabilité des Verts que la colère qui monte de la société reste dans un cadre démocratique. » Les pompiers sont déjà là avant même qu'il y ait le feu!
25 C'est une position que nous avons largement développée dans le volume III de l'anthologie des textes de Temps critiques : Violence et globalisation, à partir de la première intervention en Irak (1991), puis dans le texte « Soubresauts » avec l'apparition de nouvelles formes de terrorisme (2001). Mais nous n'en inférions pas que ce schéma puisse être transférable à ce qu'on avait coutume d'appeler la « guerre de classe ». Au contraire même, puisque nous récusons clairement aujourd'hui la possibilité ou la résurgence d'une telle guerre de classes.
26 « Mais le monde auquel il naît (le Bloom) est un monde en guerre dont tout l'éblouissement tient à la vérité tranchante de son partage entre amis et ennemis. La désignation du front participe du passage de la ligne, mais ne l'accomplit pas. Cela seul le combat le peut. » Tiqqun, nº 1, « Théorie du Bloom », 1999.
27 Rien ne montre mieux cela qu'une citation de la page 261 : « Si nous perdons à Belfast, nous aurons peut-être à nous battre à Brixton (là où il y a déjà eu des situations d'émeutes dans les années 80. NDLR) ou à Birmingham. De même que l'Espagne des années 1930 était une répétition pour un conflit européen généralisé (les combattants de la cnt, de la fai et du poum apprécieront! NDLR), de même, peut-être, ce qui se passe en Irlande du Nord est une répétition pour une guerre de guérilla urbaine généralisée à l'Europe et plus particulièrement à la GB. » (Le président d'un colloque de 1973 sur le rôle des forces armées dans le maintien de l'ordre dans les années 1970.)
28 Pourtant, elle pourrait tirer profit de certaines analyses, rétrospectives toutefois, d'individus qui s'y sont trouvés engagés directement : « Le paradoxe de la pratique de la guérilla, lorsqu'elle se développe en l'absence de guerre civile, est le suivant : la justice restauratrice (qui est à la base de l'idée socialiste) ne peut alors qu'être remplacée par son contraire, l'idée violente d'une justice punitive qui, par sa nature même, ne peut accomplir l'objectif socialiste. La “propagande” de la guérilla fonctionne comme une sanction pénale, parce qu'il est impossible de libérer la moindre “zone occupée”. Par conséquent, la pratique de la guérilla se réduit à celle d'une sorte d'État parallèle, qui lui-même se réduit à sa principale fonction : celle d'un tribunal pénal » (Vincenzo Guagliardo, militant ouvrier des BR, emprisonné, cité dans le nº 22 de la revue Ni patrie ni frontière, 2007).
29 C'est, par exemple, mis en exergue d'un texte important de l'insurrectionnalisme : « Manifeste pour une désobéissance générale », reproduit dans le no 27-28-29 de npnf, p. 93-104). Comme c'est souvent le cas dans les textes insurrectionnalistes, on y trouve pêle-mêle les Tupamaros et Gandhi, un discours catastrophiste sur l'état du monde et la possibilité d'en sortir, la nature quasi essentialiste de la soumission et la capacité à désobéir, de façon généralisée.
30 Pour une critique de ce partisanat, on peut se référer à ce qu'en disaient la gauche italienne et Bordiga : Cf. Sur le fil du temps : « Marxisme ou partisanat », Bibliothèque internationale de la Gauche communiste, http://sinistra.net/lib/bas/battag/ceju/cejueduzuf.html. L'insurrection ouvrière y est opposée à toutes les formes de partisianisme ou de légionarisme qui bradent la lutte pour soi-même et sa classe au profit d'alliances en vue d'un combat militaire douteux (la « résistance ») contre un système totalitaire (nazisme ou fascismes). Cette position a eu une force certaine quand on pense à la défaite du prolétariat espagnol enchaîné à « sa » démocratie, mais elle est entachée de son paradigme classiste. Il n'est toutefois pas inutile de la rappeler quand, aujourd'hui, les appels à la résistance se multiplient contre des formes de pouvoir qui se fasciseraient.
31 À une autre échelle, c'est cette impossibilité que reconnaissaient, par défaut, Michèle Firk et Pierre Goldmann en s'exilant en Amérique du Sud peu avant Mai 68 devant l’évolution d'une société et de rapports sociaux qu'ils ne comprenaient plus mais qu'ils auraient voulu détruire violemment. Tous les deux le payèrent de leur vie, Firk directement sur place en 1968, Goldman indirectement en France en 1979.
32 Sur ce point, on pourra se reporter à l'article du no 15 de Temps critiques, « Capital, capitalisme, société capitalisée » : http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article206.
33 Cette référence au Chiapas est très explicite dans le texte Rupture (op. cit.), mais il n'y a là rien d'étonnant quand on sait la porosité des milieux altermondialistes et insurrectionnalistes.
34 Cf. A corps perdu no 3, p. 7.
35 Ibid., p. 10 et encore : « Dans l'explosion de ses frénésies, la barbarie nous propose d'assumer courageusement la part dangereuse, y compris inadmissible et antisociale, de nous-mêmes. » (p. 12) Référence explicite est faite à Cœurderoy (Hurrah!!! ou la Révolution par les Cosaques) et Bakounine.
36 Cf. J. Wajnsztejn, Après la révolution du capital, Paris, L'Harmattan, 2007.
37 Cf. M. Rigouste, L'ennemi intérieur, la généalogie coloniale et militaire de l'ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Ed. La Découverte, 2009.
38 Comme l'écrit M. Tronti dans La politique au crépuscule, éd. de l'Éclat : « Le mouvement ouvrier n'a pas été battu par le capitalisme, mais par la démocratie. » Nous pourrions rajouter : une démocratie qui ne lui est pas extérieure dans la mesure où elle n'est que l'expression politique de la dépendance réciproque entre capital et travail au sein du rapport social capitaliste.
39 Si ces conflits sont bien rendus par l'ancien exemple du Vietnam et des groupes de résistance palestiniens, basques ou irlandais, dans une époque plus récente par les attentats de 2001, cela reste dans le cadre d'une lutte entre États ou prétendants à la construction d'un nouvel État. En dehors de cette perspective, les Black Panthers, les Weathermen et la RAF sont bien placés pour parler des limites, pour ne pas dire des impasses de leurs stratégies.
40 Sur ce point, la critique faite à L'Appel par la revue Meeting qui lui reproche de ne pas voir le capitalisme comme un système mais seulement comme un dispositif semble manquer sa cible. Ce qui est en jeu ici c'est la perspective, dialectique négative pour les marxistes et Meeting, puissance affirmative des forces pour les tiqqunistes deleuziens.
41 On retrouve ici une position qui sera celle de la revue Invariance, à la fin de sa série II (années 1970).
42 À noter comme un clin d'œil au futur « comité invisible » de l'iqv que les sabotages et grèves sauvages des Wobbly (membres des Industrial workers of the world ou iww) des années 1910-1920 furent animés par un « comité inconnu » (cf. M. Tari, op.cit, p. 104).
43 La formule est de Roland Simon, Le démocratisme radical, éd. Senonevero, 2001.
44 « Toute coordination est superflue là où il y a de la coordination. » (iqv, p. 112)
45 « L'assemblée des présences » plutôt que « l'assemblée générale » (ibid., p. 113).

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